La forme à puiser] On regrette l'aspect lisse du parchemin et on se lasse des inévitables stries laissées par les vergeures et les chaînettes dans l'épaisseur de la page on demande un papier soyeux, uni et sans aspérités ; les papetiers cherchent une nouvelle technique de puisage de la feuille qui permettrait d'éviter les marques d'eau déposées par la forme à puiser traditionnelle. C'est en Angleterre, où l'industrie métallurgique a pris quelques longueurs d'avance sur le continent, que naîtra la solution. Plutôt que de filtrer la solution de pâte à papier à travers un réseau de fils serrés, dont les traces restent forcément visibles dans la feuille, pourquoi ne pas utiliser un treillis rigide trés fin, semblable à un tissu de fils métalliques, qui ne laisserait dans le papier, aprés séchage, aucune image fantôme ? Cette forme sans vergeure est inventée en 1750 par l'Anglais John Baskerville, qui imagine de substituer, au tissage du formére, une fine toile d'argent, puis de laiton : des produits manufacturés, disponibles en Grande-Bretagne grâce aux progrés de la technique du tréfilage métallique. La nouvelle forme à puiser assure immédiatement aux papetiers anglais un succés considérable : le nouveau produit, satiné et uni, dont le secret de fabrication restera jalousement gardé pendant plus de vingt-cinq ans, s'impose sur le marché international avec des résultats qui inquiétent les grands producteurs européens. On dépêche des espions, l'industrie anglaise se protége mais le secret finit par s'éventer.[/hide] [hide=Cylindre hollandais] Les amateurs de beaux papiers préférent le papier hollandais, plus blanc et plus fin, fabriqué depuis la fin du XVIIe siécle à l'aide de cylindres effilocheurs qui suppriment le pourrissage, responsable du jaunissement de la chiffe ( “la pâte”). Les papetiers français, qui dans un premier temps avaient utilisé des azurants pour compenser le manque de blancheur de leur papier, cherchent désormais à importer cette nouvelle technologie pour répondre à la pression croissante des éditeurs. Une premiére tentative à la papeterie de Langlée prés de Montargis, en 1736, pour implanter la " machine de Hollande ", se solde par un échec. Les compagnons papetiers sont réticents devant cette nouveauté, qui bouleverse les régles ancestrales du métier et supprime des emplois. De plus, les ouvriers français ne savent encore ni monter le cylindre, ni le maintenir en fonctionnement. Il faut attendre 1780 et la venue d'un mécanicien hollandais, Jean Guillaume Ecrevisse, pour que les premiers cylindres hollandais soient installés en France, à Annonay, puis à Essonne. Le principe du cylindre hollandais est simple et efficace : il broie les chiffons dans une cuve ovale grâce au roulement d'un cylindre équipé de lames tranchantes en fer, cuivre ou bronze. À la fois défileur et raffineur, ce systéme peut remplacer à lui seul les deux opérations de pourrissage de la chiffe et de sa trituration par les piles et les maillets. La pâte obtenue est plus fine et plus homogéne mais fournit - on ne le découvrira que plus tard - des papiers de moindre résistance, car les fibres sont sectionnées par les lames du cylindre alors qu'elles étaient qu'écrasées par les maillets. Cette opération produit moins de déchets et permet de broyer les chiffons trois fois plus rapidement, en éliminant la longue opération du pourrissage. L'eau reste indispensable pour la fabrication de la pâte, mais la pile hollandaise permet de diversifier les sources d'énergie motrice : son principe s'accorde assez bien à la force éolienne du moulin à vent, plus efficace en Hollande que les paresseux cours d'eau. La diffusion de cette nouvelle technique reste lente : les ouvriers français sont attachés à la traditionnelle préparation de la chiffe et n'utilisent les nouveaux cylindres que pour le raffinage. Une telle rénovation des fabriques exige de lourds investissements et une vision à long terme que la plupart des petits moulins n'ont pas. Les grandes familles réagissent les premiéres. En 1819, Canson fait monter un cylindre anglais d'Annonay et abandonne définitivement toute opération de pourrissage. [/hide] [hide=Le blanchiment au chlore] Les utilisateurs qui attendaient un papier plus blanc que blanc n'avaient été qu'imparfaitement satisfaits par la pile hollandaise : la pâte était plus claire que celle obtenue dans les moulins à maillets et à pourrissage, mais la feuille séchée gardait une teinte ivoire, tirant toujours plus ou moins vers l'ocre pâle. En 1774, un chimiste suédois, K. W. Scheele, découvre le pouvoir oxydant du chlore. II permet de blanchir la chiffe, qu'on se contentait jusqu'alors d'exposer au soleil pour en faire passer les couleurs. Les assignats, pendant la Révolution française, seront les premiers bénéficiaires de cette innovation ! Plusieurs méthodes d'extraction du gaz chlorique sont proposées : l'une se sert de l'oxyde de manganése, qui réagit sur l'acide muriatique, une autre est basée sur le chlorure de chaux. En 1804, Claude Louis Berthollet, dans Éléments de l'art de la teinture, souligne “pourtant qu'il est difficile de mesurer la concentration exacte de la solution chlorée pour effectuer, de façon réguliére et à échelle industrielle, le traitement d'une grande quantité de chiffons. On découvrira plus tard que l'oxydation au chlore, redoutable pour l'environnement, n'est pas non plus sans effets secondaires sur la solidité de la feuille et sa stabilité chimique à long terme.” Mais le chlore constitue un symbole : l'introduction et le perfectionnement du blanchiment sont un des premiers signes du rôle croissant que la chimie, la science par excellence du XIXe siécle, va être amenée à jouer dans le développement de la production du papier et dans sa conversion en activité industrielle. [/hide] [hide=L'encollage dans la Masse : à la colophane et à l'alun .] Depuis le XIIIe siécle, et en dépit de quelques améliorations techniques, le collage traditionnel des feuilles à la gélatine, effectué en fin de fabrication aprés un double séchage du papier, est toujours une opération particuliérement délicate, au cours de laquelle les ouvriers les plus habiles ne pouvaient pas toujours éviter les " cassés ". En 1807, un horloger allemand, descendant d'une grande famille de papetiers, fait paraître à compte d'auteur un mémoire présentant une méthode " sûre, simple et peu coûteuse " pour encoller le papier dans la masse ". Au lieu de réaliser l'encollage en plongeant la feuille séchée dans un bain de gélatine, on introduit la substance imperméabilisante directement dans la pile où la pâte est triturée. À la gélatine animale, qui nécessitait une longue préparation (les déchets de peau animale étaient bouillis et filtrés), il s'agit de substituer le mélange de deux Produits chimiques aisément disponibles : un sel isomorphe, l'alun déjà utilisé depuis le XVlle siécle comme " mordant " pour fixer les teintures - et une résine naturelle de térébenthine, la Colophane - sous la forme d'un savon de résine obtenu par réaction à la soude. En versant dans la pâte à papier ce mélange de résine et d'alun, la colophane est précipitée sur les fibres de papier en résinate d'aluminium et la pâte est encollée de l'intérieur. On supprime une étape de la chaîne de fabrication du papier et on garantit la réussite du collage en limitant considérablement les risques de défauts de fabrication. Le produit obtenu est parfaitement imperméable à l'encre, quoique mou et pas assez " sonnant " pour le goût de l'époque. Cette technique n'entrera en application que progressivement : à ses débuts ce papier encollé dans la masse ne recueille pas l'approbation des éditeurs. Cette méfiance était justifiée : comme pour le cylindre hollandais, l'avenir prouvera que ce nouvel encollage produit des papiers chimiquement beaucoup moins stables que la gélatine animale traditionnelle. Défini dans les premiéres années du XIXe siécle, l'encollage " dans la masse " ne semble s'être généralisé qu'entre 1830 et 1875, c'est-à-dire à l'âge industriel et essentiellement avec le papier de bois. L'alun en revanche était utilisé depuis longtemps et s'est avéré un redoutable ennemi du papier : si l'on compare les papiers sans alun du début du XVIIe siécle et les papiers traités à l'alun de la fin du siécle, on constate une multiplication par seize du taux d'acidité et une perte des deux tiers de la résistance au pliage. En 1830, la production à la cuve atteint son maximum d'efficacité, grâce aux perfectionnements techniques de l'époque des Lumiéres (blanchiment au chlore et nouveaux procédés d'épuration). Mais le monde du papier est toujours dans un goulot d'étranglement technique, social et commercial, qu'aggrave la demande, de plus en plus forte. Si la qualité de la pâte et ses méthodes de fabrication se sont sensiblement améliorée, la production est toujours limitée par la vitesse de fabrication des feuilles qui se lévent une à une à la main et provoquent des " cassés ". [/hide]