En fait, toutes ces réticences envers le papier n'empêchent pas les gens de commerce et de chancellerie d'en faire grand usage.
Le volume de papier importé de Damas et d'Orient ne cesse d'augmenter.
Au XIIIe siècle, les flottes commerciales de l'Adriatique et de la Méditerranée, soutenues par de gros négociants
(à Venise, surtout, mais aussi à Gênes, Pise, Marseille, Aigues-Mortes, Montpellier, Narbonne, Barcelone)
se partagent un marché de plus en plus prospère.
Vers le milieu du siècle, on commence à trouver des actes notariés en papier dans le Sud de la France (en 1248, par exemple, des registres notariés à Marseille, un registre d'enquêtes languedocien) et, un siècle plus tard, en 1340, les scribes de la chancellerie royale française utilisent couramment des registres de papier.
**Le premier document commercial établi à Gênes sur un papier arabe est daté de 1154.**
Un siècle plus tard le papier est pour l'Italie un bien d'exportation produit sur place selon une méthode mécanisée. II reste difficile de préciser comment cette nouvelle technique de fabrication du papier s'est élaborée et pourquoi elle apparais dans les Marches, au centre de l'Italie dans les États de l'Eglise. Peut-être précisément en raison de cette situation centrale, à la croisée de quatre routes ?
Celle des technologies avancées et des banques qui se sont développées au nord, celle d'une tradition arabe qui vient du sud par la Sicile et celles des négociants dont les flottes sont installées à l'est sur les rives de l'Adriatique (Venise, Ancône) et à l'ouest sur la Méditerranée (Gènes).
Principaux transporteurs de troupes pendant les croisades, et très présents dans le commerce des marchandises orientales, les armateurs vénitiens et génois ont certainement joué un rôle essentiel dans ce transfert, qui s'est sans doute opéré directement du Moyen-Orient à l'Italie, par Constantinople et les routes de l'ancienne Byzance, sans transition par l'Afrique ou l'Espagne.
Quoi qu'il en soit, vers le milieu du XIIIe siècle, tout à coup, des fabricants de la petite ville de Fabriano, entre Ancône et Pérouse, dans la vallée du Giano, commencent à produire du papier selon une technologie entièrement nouvelle qui n a plus rien à voir avec la méthode arabe. Fabriano n'était peut-être pas le seul endroit où l'on fabriquait ce nouveau papier vers 1250, et il est assez vraisemblable que des moulins ont vu le jour, dans la région de Gênes, dès le début du XIIIe siècle : on ne peut aujourd'hui l'affirmer, faute de preuves.
**L'industrie de Fabriano connaît rapidement un succès commercial considérable dans sa région mais également à Venise et Aigues-Mortes.
Dans les cinquante ans qui suivent, d'autres moulins sont construits à Bologne, Gênes, Padoue, Venise, Voltri, Milan, Salo, Notera, etc.,
avec des dispositifs techniques et des performances comparables à ceux de Fabriano.
Le papier italien, moins cher et de meilleure qualité,
concurrence progressivement le papier arabe et s'impose sur les places du Nord.
Les hommes d'affaires de la péninsule, qui cherchent à développer l'exportation, approvisionnent l'Europe entière en pénétrant les grands axes commerciaux
de l'époque : la route de Champagne, la vallée du Rhin et celle de la Meuse. w Au XIVe siècle toutes les grandes villes d'Europe de l'Ouest, toutes
les institutions importantes et cous les centres de décision politique ou économique possèdent un dépôt substantiel de papier italien.
- Des moulins primitifs sont apparus probablement très tôt
- peut-être dès la fin du XIIe siècle ou au cours du XIIIe siècle dans l'Hérault, sous l'effet des migrations juives d'Espagne,
et certainement dès le début du XIVe siècle dans le Bas Languedoc, à Montpellier (1310 ?), puis en Savoie (Faverges), en Avignon (1316 ?) et en Provence,
grâce aux artisans
italiens qui s'y sont installés jusqu'au XVe siècle
- certainement aussi dans le Beaujolais et en Auvergne (à Ambert, peut-être en 1326 puis en 1396). Dans la première moitié du XIVe siècle,
les centres papetiers se multiplient en se déplaçant vers le nord (Troyes, 1338-1348, puis 1362,1388), le sud-est (Grenoble, 1346),
le sud-ouest (Angoulême, 1350).
- À partir des années 1350, pour répondre aux besoins de l'Université, d'importantes papeteries s'installent aux environs de Paris
(Essonne, 1354-1355 et Saint-Cloud, 1376).
- Dans les dernières décennies du siècle, le développement se généralise un peu partout en France : du sud-est (Carpentras, 1374 ; Avignon, 1374 ; Sorgues,
avant 1400) à l'extrême nord (Saint-Quentin, 1384), de l'est (Besançon, avant 1396 ; Strasbourg, 1408) au centre (Chamalières, 1402) et au Lyonnais (1415).
- Au XVe siècle les papeteries ont essaimé sur tout le territoire : Franche-Comté (1420), Bresse et Bugey (1426), Orléans (1435), Vienne sur le Rhône (1450),
Vannes (1450), Metz (Arches, 1492), tout le Sud-ouest (entre 1460 et 1500).
- Dès la fin du XIVe siècle le papier avait franchi les frontières du nord et de l'est, s'implantant à Nuremberg sous l'impulsion d'Ulman Stromer, qui
bâtit le premier moulin allemand en 1390 avec l'aide de papetiers milanais. Les moulins à papier sont tous construits sur le même modèle économique : une unité
de fabrication rurale, liée à l'énergie hydraulique, fondée sur un principe artisanal et familial.
La production est cependant souvent contrôlée par un
marchand de la ville qui fournit la matière première les chiffons et commercialise le produit fini.