les années bissextiles

En 46 av. JC, Jules César impose une réforme du calendrier romain - qui en avait bien besoin. Cette année fut très spéciale puisqu'elle compta 445 jours : pour ne pas trop bouleverser les habitudes, l'ordre et le nom des mois de l'ancien calendrier ne changèrent pas, et comme il s'agissait également de recaler le futur calendrier sur le rythme des saisons, deux mois de respectivement 33 et 34 jours furent ajoutés à cette année qui avait déjà connu un mois intercalaire de 23 jours en février. On comprend pourquoi cette année est connue depuis sous le nom de « année de confusion » (d'après une autre source cette année n'aurait comporté que 443 jours).

Mais c'est pour cela qu'aujourd'hui encore l'année commence le 1er janvier et comprend les 12 mois que nous connaissons ((Les noms des mois de juillet et août devaient encore changer ainsi que la durée de certains mois. Si vous vous interrogez sur le décalage entre le solstice d'hiver et le 1er janvier, sachez que je cherche moi-même une réponse satisfaisante.)).

L'année suivante, 45 av. JC est la première réellement julienne (une année de 365 ou 366 jours dans un cycle de quatre années comptant 1461 jours). Jules César fut assassiné l'année suivante et, y a-t-il un rapport ou non, la règle des années bissextiles fut mal comprise : on commença par utiliser un cycle de 1096 jours en comptant une année bissextile tous les trois ans ! La méthode utilisée pour corriger l'erreur lorsqu'on s'en aperçut consista à supprimer les années bissextiles suffisamment longtemps pour éliminer l'excès.

Cet épisode nous est relaté par Macrobius dans Saturnalia (1, 14)
« Cette erreur dura pendant 36 ans, pendant lesquelles 12 jours furent intercalés alors qu'il en aurait fallu 9 ; cette même erreur, tardivement perçue, Augustus la corrigea ainsi : les 3 jours qui, en 36 ans, étaient issus de l'erreur de l'activité sacerdotale furent annulés par l'absence d'intercalation pendant les 12 années suivantes. » . ((Extrait (et traduction ?) de Emile Biémont, Rythme du temps, Editions DeBoek.))

Après cette longue introduction nous arrivons aux questions qui ont fait l'objet de discussions animées parmi les amateurs de calendrier : quelle est la chronologie des premières années du calendrier julien, c'est à dire, quelle est la première année julienne bissextile, combien y a-t-il eu d'années bissextiles à tort, et quand le rythme actuel a-t-il commencé ? Sur la dernière question, les dates de 4 après JC et de 8 après JC sont couramment citées mais généralement sans explication, aussi ai-je décidé de me forger ma propre opinion. //Les lignes qui suivent sont le résultat de mes recherches et de mes cogitations. Comme on dit, elles n'engagent que ceux qui y croient (et son auteur un petit peu quand même !)//

La première piste vient d'une constatation triviale : aujourd'hui, les années bissextiles sont celles qui sont divisibles par 4 ! //(Oui, je sais, selon la numérotation qui commence à la naissance - supposée (mais acceptée par l'usage courant) - de Jésus-Christ et en omettant certaines années séculaires depuis la réforme grégorienne).//

Si on remonte le temps en omettant les années bissextiles en erreur - après tout, il est légitime de penser que le but de la correction était de retrouver le rythme originel - la première année bissextile aurait été 45 av. JC, c'est à dire la première année julienne, juste après l'année de confusion. Les 36 années en erreur correspondraient à 12 cycles de 3 ans de 45 av. JC jusqu'en 10 av. JC, même si la dernière année bissextile en erreur est 12 av. JC. La période de 12 ans correspondraient à 3 cycles quadriennaux de 9 av. JC jusqu'à 3 après JC pendant lesquels les jours intercalaires en 9 av. JC, 5 av. JC et 1 av. JC ne furent pas comptés.

Tout cela est très cohérent mais il y a un détail agaçant : l'année 45 av. JC, la première réellement julienne, serait bissextile. //Or je suis persuadé qu'elle ne l'était pas et cela pour deux raisons :// premièrement, dans tous les textes parlant du rythme quadriennal des années bissextiles, il est toujours question de rattraper la quatrième année le retard de 1/4 de jour accumulé les trois années précédentes. Il n'est jamais question de compenser pendant trois années l'avance d'une journée prise la première année ;

deuxièmement, l'année précédant la première année julienne ayant comporté 445 jours - on l'appelle pour cela « année de confusion » -, il aurait été surprenant (invraisemblable ?) de ne pas en profiter pour ajouter un 446e jours pour éviter que la première année du nouveau calendrier soit une année « exceptionnelle » (366 jours au lieu de 365).



Rodolphe Audette, l'auteur de l'indispensable site « les textes constitutifs du calendrier grégorien » a proposé une solution dans la liste de diffusion CALNDR-L (message du 1er mars 1999). Selon lui //(et j'espère ne pas trahir sa pensée)//, Macrobe explique l'erreur par le fait que, alors qu'il était spécifié que le jour intercalaire devait être ajouté « à la fin » de la 4e année, les autorités chargées d'appliquer la règle auraient compris « au début » de la 4e année.

En effet, alors qu'ils auraient dû intercaler le jour résultant des quarts de jours tous les quatre ans révolus avant le début de la cinquième année, ceux-ci l'intercalaient non pas à la fin mais au commencement de la quatrième année.

Censorinus lui-même précise : « pour tenir compte du quart de jour qui semblait nécessaire pour compléter l'année naturelle, il prescrivit que, le cycle quadriennal étant complété, un jour supplémentaire soit intercaler après Terminalia ».

Dans l'esprit de César, la fin de la 4e année correspondait idéalement au 32 décembre ! Or, dans le calendrier précédemment en vigueur à Rome, les intercalations étaient placées entre le 23 et le 24 février, et la même règle fut utilisée dans le nouveau calendrier pour ne pas changer les habitudes (il nous en reste encore des traces aujourd'hui avec le 29 février des années bissextiles).

Pour concilier les deux opinions, dans l'esprit des initiateurs du calendrier julien le premier jour bissextile devait être intercalé entre le 23 et le 24 février en 41 av. JC (au commencement de la 5e année), mais à cause de la mauvaise interprétation, ce fut en réalité en 42 av. JC (au commencement de la 4e année).

Cette hypothèse a l'avantage de permettre d'expliquer le rythme actuel des années bissextiles tout en refusant de considérer que 45 av. JC ait été bissextile.
Le seul problème est qu'il est difficile de répartir les 36+12 années dont par le Macrobe. Le meilleur résultat que j'ai pu obtenir (voir le tableau des premières années bissextiles sous les colonnes « version Audette I ») consiste à faire débuter le cycle des années bissextiles à tort en 44 av. JC jusqu'à 9 av. JC où est placée la 12e année bissextile à tort, puis d'enchaîner avec le cycle de 12 ans de 8 av. JC jusqu'en 4 après JC (années 5 av. JC, 1 av. JC et 4 après JC non bissextiles).

Le cycle de 3 années de 365 jours suivies d'une année bissextile de 366 jours reprend ensuite à partir de 5 après JC et la première année bissextile est ensuite 8 après JC, mais l'année 45 av. JC. est bien isolée.
Peut-être ne faut-il pas prendre le texte de Macrobe au pied de la lettre. L'erreur n'a pas forcément été découverte au bout de 12 cycles de 3 ans, mais à n'importe qu'elle date après la 12e intercalation, c'est à dire au bout de 34 ans.

Une remarque : pour une classique histoire d'intervalle, 12 années bissextiles séparées chacune de 3 ans tiennent en 34 ans exactement ! 36 ans correspondent à 12 cycles triennaux. De la même manière, 3 années bissextiles séparées de 4 ans tiennent en 9 ans.

Macrobe aurait écrit 36 car ce nombre est à la fois multiple de 3 et de 4. La période en erreur commencerait à partir de la première année bissextile à tord (42 av. JC) et finirait n'importe quand entre le jour intercalaire de l'an 9 av JC. et le jour intercalaire de ce qui devait être l'année bissextile erronée suivante, soit 6 av. JC (voir colonnes « version Audette II » http://www.henk-reints.nl/cal/audette/calgreg.html)

Une autre version consiste à partir de l'hypothèse que la première année bissextile devait être 42 av. JC mais que ce fut en réalité 43.

Les 36 années en erreur courent ensuite jusqu'en 10 av. JC et les 12 années de correction s'étendent entre 9 av. J-C et 3 après JC

On doit supposer qu'on aurait ensuite immédiatement enchaîné par une année bissextile en 4 après JC alors que le cycle des années bissextiles aurait dû reprendre en 4 après JC avec un première année bissextile en 7 après JC. De nos jours, nous constatons tous les 4 ans qu'il n'en a pas été ainsi.

« Si ce calendrier suffit bien pendant un certain temps, il ne remplit pas les règles de perpétuité. En effet, l'année julienne de 365,25 jours est légèrement trop longue comparée à l'année tropique de 365 ,2422.
Elle l'emporte de 0,0078 jour par an et le calendrier julien va retarder de 3 jours en 4 siècles ainsi que l'ont constaté les Pères de l'Eglise réunis au concile de Nicée en 325. **Sosigène** a prétendu fixer définitivement l'équinoxe de printemps de 25 mars mais en 325, il tombe de 21 mars .
Les pères de l'Eglise attribuant cet écart à une erreur de Sosigène lient la date de Pâques à l'équinoxe de printemps placé définitivement le 21 mars. De 46 av. JC à 1582, il s'est écoulé près de 1600 ans et le décalage aurait dû être de 12 jours or il était de 13 jours.
Sosigène a effectivement commis une erreur. A cette époque, l'imprécision de toutes les observations était grande en dépit des légendes qui attribuent aux anciens des précisions souvent démesurées. » Jean-Paul Parisot et Françoise Suagher, Calendrier et Chronologie, Masson.

Le solstice en 45 av. JC (notez que le texte parle de 46 av. JC, l'année de confusion) se serait donc produit le 24 mars et Sosigène se serait trompé d'un jour.

Et si Sosigène ne s 'était pas trompé, si en 45 av. JC l'équinoxe était vraiment le 25 mars ? Jusqu'en 3 après JC, les 13 jours intercalaires ont permis de synchroniser vaille que vaille le calendrier julien avec le rythme des saisons (même si la séquence des ajouts n'a pas été régulière) et en 3 après JC, l'équinoxe tombe toujours le 25 mars. Par contre il se décale au 24 mars si un jour intercalaire est ajouté au mois de février l'année suivante, en 4 après JC ! Bien sûr, en 7 après JC, il s'est accumulé assez de quart de jours pour que l'équinoxe revienne au 25 mars, mais il retombe immédiatement au 24 l'année suivante. Assez rapidement, la dérive du calendrier julien intervient à son tour et le jour bissextile n'est plus suffisant pour compenser le décalage. Et voilà l'explication du décalage constaté en 325 après JC !

Une dernière hypothèse, un peu vaine car basée sur trop de suppositions, forcément invérifiable, a le mérite d'attirer l'attention sur une singularité de l'année de confusion. En comptant les 12 derniers mois de cette année, c'est-à-dire les mois de mars à novembre, 2 mois intercalaires et enfin le mois de décembre, on obtient 365 jours (si l'on en croit **Censorinus** ; cette question a été traitée dans la page « Le calendrier julien »).

Le 1er mars de cette année correspondait donc au 1er janvier du futur calendrier (( Autre élément troublant, pendant longtemps à Rome le premier mois de l'année était le mois de mars.)), et **Jules César** ajouta 2 mois de 33 et 34 jours entre novembre et décembre pour combler le décalage, et non pas un mois ou une période « flottante » de 67 jours. La coïncidence est telle qu'il est tentant de considérer que la première année bissextile est l'année 708 AUC à partir du 1er mars, ce qui pourrait également expliquer pourquoi le début du calendrier julien n'a pas été calé sur une date « astronomique » (pourquoi l'année julienne ne commence-t-elle pas au solstice d'hiver le 25 décembre ?).

Dans cette hypothèse, la première année bissextile était 711 AUC (voir colonnes « Confusion » du tableau des premières années bissextiles). La confusion entre le début réel du calendrier et son début « pratique » serait la cause de la mauvaise interprétation de la règle julienne : le nouveau calendrier ayant pris sa forme définitive en 709 AUC et le premier jour bissextile ayant été inséré en 711 (la 3e année au lieu de la 4e), les jours bissextiles suivant auraient été insérés en 714, puis en 717, etc., tous les 3 ans. Lors de la correction, à cause de la même confusion, on aurait considéré que les 36 années en erreurs s'étendaient de 709 à 744 AUC. La période de 12 ans sans années bissextiles, de 745 à 756 AUC, aurait été ensuite immédiatement suivie par une année bissextile en 757 AUC (4 apr. J-C) sans attendre les 2 années nécessaires pour revenir au rythme originel, entraînant un écart de 1 jour dans la date de l'équinoxe pendant la moitié d'un cycle quadriennal, bientôt noyé par la dérive de l'année julienne par rapport à l'année tropique.

//Voilà donc quelques pièces du dossier. A part un miracle, la découverte d'un écrit contemporain qui donnerait les clés du mystère, la question des premières années bissextiles restera à jamais un intéressant sujet de controverse. A vous de juger !//
extraits Jean Miart